FORUM   MAUBEUGE

 

PRÉSENTATION DE L'ATRACTOR

 

Manuel Chaves

machaves@fc.up.pt

 

 

 

            Le projet auquel je me suis consacré d'une façon intensive dans ces derniers temps et que je vais décrire brièvement, est un peu marginal par rapport au thème du Forum: il ne s'agit pas d'enseignement des mathématiques, au moins dans le sens scolaire du mot, et l'art n'y est pas présent d'une façon systématique. Ce qu'il y a en commun avec d'autres initiatives mentionnées dans ce forum, est la tentative d'intéresser aux mathématiques par des moyens qui ne sont pas nécessairement perçus par le public comme ayant un rapport direct avec les mathématiques, telles qu'il les imagine.

Connaître la genèse du projet permettra de mieux comprendre la forme prise par sa réalisation. En 1993, sous l'initiative d'un physicien, un groupe de professeurs de la Faculté des Sciences de Porto s'est réuni pour essayer de jeter les bases d'un futur musée des sciences qui serait caractérisé par une forte composante d'interactivité. Bien qu'à l'époque le scepticisme était général sur la possibilité de créer des  réalisations «interactives» présentant un intérêt au niveau des mathématiques, je me suis joint à ce groupe dès le début, convaincu qu’on pouvait faire quelque chose, et qu'il était souhaitable que les mathématiques ne fussent pas absentes d'un tel musée.

Ma présence dans ce groupe a été très importante (pour moi!), non tellement par le travail produit – dans les premières expositions temporaires qui ont eu lieu en 1994, la mathématique n’était représentée que d'une façon assez modeste - mais plutôt parce que depuis cette date, bien qu'en faisant d'autres choses, j'ai toujours eu en arrière-plan l'envie d'explorer cette voie. J'ai pris des notes, j'ai eu quelques idées, et j'ai participé à plusieurs réunions annuelles d'EXCITE (organisme qui regroupe les musées scientifiques européens), et j’ai visité quelques musées scientifiques interactifs. La première impression que j'ai gardée de ces visites a été que les mathématiques n'étaient guère représentées en général dans ces musées. Et, graduellement, ma conviction s’est affermie qu'il pourrait en être autrement. Dans ma Faculté, pour plusieurs raisons, le projet du musée des sciences n'a pas avancé aussi vite qu'on avait espéré au début. Par ailleurs, je me suis convaincu qu'il y aurait assez de matériel pour réaliser un Centre entièrement consacré aux Mathématiques. Entretemps, un bâtiment à Ovar (entre Porto et Aveiro) a pu être mis à notre disposition, et en 1998 j’ai adressé une circulaire-invitation généralisée. L'accueil fut excellent et plusieurs Institutions Universitaires (Aveiro, Coimbra, Lisbonne, Porto), la Sociedade Portuguesa de Matemática, l'Associação de Professores de Matemática et aussi la Mairie d'Ovar se sont jointes dans une Association (constituée en Avril 1999) pour la création à Ovar d'un Centre Interactif consacré aux mathématiques: c'est l'Atractor (voir http://www.fc.up.pt/atractor). Un petit groupe de collègues s’est intéressé d’une façon active au projet, le Ministère de la Science et de la Technologie également, qui a décidé de l’appuyer financièrement, et d’intégrer le futur Centre dans son réseau de Centros de Ciência Viva. De son côté, le Ministère de l’Éducation lui venait également en aide sous la forme du détachement de deux professeurs pour y travailler à plein temps. Dans les années 1999 et 2000, plusieurs expositions interactives ont été organisées dans différentes villes. Une impulsion forte a été donnée à la réalisation du projet sous la forme d’une invitation de la part du Ministère de la Science et de la Technologie (Division Ciência Viva). Confirmée en Mars 2000, cette invitation nous conviait à organiser, en Novembre 2000, à Lisbonne, dans le Pavilhão do Conhecimento (Pavillon de la Connaissance), une Exposition intégrée dans le cadre des commémorations de l’Année Mondiale des Mathématiques. C’était un grand défi à relever par l’Atractor, par suite de l’importance médiatique du lieu1 par le fait qu’il s’agissait de la première exposition dans le Pavilhão entièrement conçue au Portugal, et par l’importance des moyens financiers mis à la disposition de l’Atractor.

Le défi a été accepté, malgré le court délai laissé à la préparation de cette exposition.  Sa préparation, qui nous a occupés pendant tous ces mois, a eu pour l’Atractor un très bon effet secondaire : un certain nombre de collègues, qui auparavant n’avaient pas collaboré à ce projet, se sont joints à nous, apportant des idées ou du  travail. La base d’appui de l’Atractor s’en est donc trouvée considérablement élargie. L’exposition de Lisbonne restera ouverte pendant plusieurs mois. Tout son contenu sera intégré plus tard dans l’exposition permanente du futur Centre d’Ovar, qui ouvrira ses portes après l’indispensable travail de récupération et d’adaptation dont le bâtiment a besoin.

La philosophie du projet Atractor est d’abord de ne pas choisir les sujets en fonction de leur présence ou de leur absence dans les programmes scolaires : il ne s’agit pas de créer une sorte de laboratoire mathématique d’appui aux cours donnés dans des établissements scolaires.

Cela dit, une partie importante des visiteurs des expositions sera constituée par de jeunes écoliers et par leurs professeurs. On a pu constater qu’un certain nombre parmi ces derniers s’efforçaient de relier certains «modules» d’exposition au contenu des programmes de leurs élèves, en pensant à de nouvelles visites qu’ils viendraient faire plus tard. Ces professeurs jugeaient souvent de l’intérêt du «module» en fonction de ses proximités aux programmes. Cette première réaction, en quelque sorte naturelle, était suivie, dans la plupart des cas, alors que les buts de l’Atractor étaient mieux compris, d’une nouvelle ouverture d’esprit sur la philosophie de l’exposition.

Un autre point important est celui de la définition du visiteur-cible moyen : quel niveau de connaissance doit-on supposer et quel langage utiliser? La question du niveau n’est pas en général si importante qu’on pourrait le penser : nous avons constaté qu’un grand nombre de modules pourraient en réalité être appréciés à des niveaux très différents de compréhension et, à chaque niveau, apporter quelque chose de neuf et d’attirant. Le problème soulevé par le langage à utiliser est d’une autre nature, et n’est pas simple à résoudre. Nous avons un plan, mais il devra bien sûr être testé par l’usage : notre intention est de restreindre et simplifier au maximum les instructions imprimées présentes à côté des modules, et de fabriquer, dans un réseau informatisé, tout le complément d’information indispensable. Il est facile d’inclure, dans le support informatique, des textes correspondant à des niveaux de préparation différents ; on permet ainsi à chacun de choisir facilement celui qui lui est le plus adapté. Cela permet aussi, d’une manière intégrée avec les objets exposés, d’introduire des applets ou d’autres programmes interactifs, qui renforcent l’aspect participatif qu’on veut encourager chez les visiteurs.

Nous accordons une grande importance à cette intégration des objets (interactifs) exposés avec les présentations (si possible interactives aussi) disponibles en réseau informatique. Quand elle sera complètement mise au point, elle permettra aux visiteurs : en premier lieu, de préparer à l’avance leur visite, qu’ils pourront en quelque sorte anticiper par consultation du site de l’Atractor ; en second lieu, de reprendre plus tard en détail les éléments qu’ils auront pu apprécier pendant la visite, également d’éclaircir des points qui seraient restés obscurs.

Du point de vue de cette intégration, nous sommes en présence de trois types de situations :

·        Dans le premier, les «objets physiques» interactifs sont là, mais leur traduction informatique interactive n’est pas encore réalisée. Exemples d’objets : un polyèdre non-rigide, montrant que la rigidité des faces n’entraîne pas celle du polyèdre ; ou encore, un grand ballon et un «anneau», sur lesquels on peut dessiner des triangles, mesurer leurs angles, calculer, dans chaque cas, leur somme, la comparer avec celle des angles de triangles situés dans le plan, apprécier comment la différence varie en fonction de l’aire des triangles.

 

        

 

 

·        Dans le second, objets physiques et objets informatiques interactifs sont présents. On dispose par exemple de polyèdres, y compris ceux en dualité, qu’on peut créer, et observer dans des kaleidoscopes trièdriques où ils donnent naissance à des images parfois très belles:

 

 

      

 

 

On peut aussi les manipuler interactivement, et les animer avec des applets spécialement construits sur ordinateur (voir http://www.fc.up.pt/atractor/mat/duais.html) :

  

 

·        Dans le dernier type de situation, la création des objets virtuels et de leurs manipulations précède celle des objets physiques ; ceux-ci sont encore dans une phase de conception, ou de construction de prototypes.

Exemple d’objet en phase conceptuelle : le fait que, pour  illuminer tous les points du bord d’une figure plane convexe, trois directions de rayons lumineux seulement suffisent, sauf pour le parallélogramme où il en faut quatre, est à première vue surprenant.

 

    

 

Cependant,  par la manipulation de l’applet interactif

 

http://www.fc.up.pt/atractor/mat/GeomConv/ilumina.htm,

 

 

   

 

il est à la portée de non spécialistes de se convaincre du bien-fondé de l’affirmation, même s’il sera parfois difficile de rédiger une démonstration en termes mathématique­ment acceptables. Trouver une façon intéressante de présenter les éléments de la démonstration en terme de vrais objets manipulables est un défi à relever.

·        Un exemple où  le prototype est déjà construit, mais pas encore exposé, se rapporte au concept d’orientation d’une surface (et de surface non-orientable), et à la distinction entre ce concept et celui de surface à un seul côté (dans l’espace).

Voir :                            http://www.fc.up.pt/atractor/mat/orient.html

 

Mêmes orientations ou opposées?

 

et le tableau dans :

 

 http://www.fc.up.pt/atractor/mat/Moebius/Construcao-Moebius.html#Quadro-icons

 

 

BanBande de Möbius non-orientable? Pourquoi?

 Et si on enlève le cercle moyen?

 

Ces exemples peuvent laisser à penser que les applications des mathématiques ne sont pas représentées dans l’Atractor. Cela ne correspond pas du tout à la réalité : parmi des dizaines d’autres modules, qui ont déjà été développés, certains concernent des applications des mathématiques. Et, comme il fallait s’y attendre, on trouvera aussi ces objets mathématiques souvent très beaux, les attracteurs, qui rendront justice au nom de l’Institution - Atractor. Un modèle d’une orbite de l’attracteur de Lorenz a été construit par un procédé de stéréolythographie, à partir de fichiers préparés à l’aide de packages de Mathematica.

              

Le modèle exposé à Maubeuge

Deux phases dans sa «naissance»

 

 

 Et chaque visiteur pourra, par la création personnelle d'un point, contribuer à la construction de l’attracteur de Sierpinski, un grand module qui sera présent à l’exposition de Lisbonne.

L’Atractor veut d’abord contribuer à attirer le public vers la mathématique : la réussite de cette attraction sera une deuxième manière de faire justice à son nom. Mais l’Atractor veut aussi contribuer à donner à la population en général et aux écoliers en particulier une image plus positive de la mathématique que celle qui est répandue d’ordinaire ; une image aussi plus élargie que celle qu’on trouve encore un peu partout («les mathématiques servent à faire des calculs»). Il veut enfin permettre aux gens intéressés d’apprendre quelque chose, et, si possible, montrer également qu’en mathématique, comme dans les autres sciences, le progrès est constant  : alors que le public est au courant de la découverte de nouveautés dans les autres sciences, il partage souvent l’idée qu’en mathématiques tout a déjà été fait avant.

L’Atractor est presqu’un nouveau-né : il est donc encore trop tôt pour voir dans quelle mesure il réussira à atteindre ces objectifs que je reconnais être très ambitieux.